Intervention de Mme Micheline Spoerri, Conseillère d'Etat, Présidente du Département de justice, police et sécurité du canton de Genève
Condensé
Le « sadique de Romont », régulièrement évoqué à l'appui de l'initiative, a fait l'objet d'une réclusion à vie. Dans son cas, les dispositions de l'initiative ne seraient pas applicables. C'est d'ailleurs l'un des cas qui ont amené les cantons à durcir leur pratique en matière de libération et de congés. Contrairement à certaines idées reçues, une personne condamnée à la réclusion à vie ne sera d'ailleurs pas automatiquement libérée après quinze ans. Une telle personne peut rester incarcérée jusqu'à la fin de son existence. Une libération conditionnelle n'est possible qu'en cas de pronostic favorable.
La nouvelle partie générale du code pénal protégera mieux que l'initiative la collectivité contre les délinquants dangereux. Elle permettra d'interner tous les délinquants dangereux alors que l'initiative en exclut certaines catégories. De plus, concernant la libération anticipée, l'initiative est contradictoire : elle permettrait de libérer des délinquants sur la base de nouvelles connaissances scientifiques permettant une guérison - sans délai d'épreuve et sans surveillance. Paradoxalement, elle laisse ainsi beaucoup plus de « secondes chances » aux délinquants dangereux.
Intervention
Mesdames et Messieurs,
En tant que femme, je tiens tout d'abord à exprimer combien je suis bouleversée par les actes qui ont déterminé les auteurs de l'initiative à se lancer dans cette campagne. Et je comprends que ces personnes, qui ont été si directement affectées, aient pu décider de tout entreprendre afin que de tels drames ne se reproduisent plus jamais.
En tant que membre d'un gouvernement, et comme l'a fait le Conseiller d'Etat Jean-Claude Mermoud lors d'une précédente conférence de presse, je tiens à dire que je partage entièrement les buts poursuivis par les auteurs de l'initiative, car je suis aussi soucieuse qu'eux de protéger la collectivité contre les délinquants dangereux. Raison pour laquelle j'ai fait adopter cette priorité, en août 2003, par le Conseil d'Etat genevois dans le cadre de notre planification pénitentiaire.
Toutefois, je suis convaincue que les buts des initiants peuvent être mieux réalisés par d'autres moyens, en particulier par les nouveautés introduites dans la révision de la partie générale du code pénal.
Avant de relever certains points forts de cette révision, j'aimerais rectifier certains points apparemment mal compris par les auteurs de l'initiative. En effet, lors de leur campagne pour la récolte des signatures, et encore à l'heure actuelle, ils évoquent régulièrement à l'appui de leur initiative le cas dit du sadique de Romont. Or, je profite de l'occasion qui m'est offerte de prendre la parole, pour préciser que le sadique de Romont a fait l'objet d'une réclusion à vie et n'est pas concerné par la disposition que veulent introduire les auteurs de l'initiative. Le cas du sadique de Romont est d'ailleurs l'un de ceux qui ont amené les cantons, il y a une décennie, à durcir leur pratique en matière de libération conditionnelle et de congés. Contrairement à certaines idées reçues et fortement ancrées dans l'esprit de la population, une personne condamnée à la réclusion à vie ne sera pas automatiquement libérée après quinze ans; comme l'ont récemment démontré les autorités valaisannes dans le cas du sadique de Romont, c'est seulement une possibilité en cas de pronostic favorable. Une telle personne peut donc fort bien rester incarcérée jusqu'à la fin de son existence.
Si je m'oppose à l'initiative, c'est parce que, moi aussi, je suis entièrement convaincue par les nouveautés introduites par la révision de la partie générale du code pénal. Tout particulièrement par la concrétisation de la volonté de mieux protéger la collectivité contre les délinquants dangereux en introduisant un nouvel internement que l'on peut appeler "de sécurité". Cet internement est exécuté directement après la peine privative de liberté et dure aussi longtemps que la personne doit être considérée comme dangereuse.
La révision de la partie générale du code pénal permettra d'interner toutes les personnes qui ont commis une infraction grave et qui présentent un risque de récidive, et non pas seulement les délinquants sexuels ou violents très dangereux et non amendables présentant un trouble mental. En effet, pourquoi devrait-on limiter l'internement à ces catégories de personnes, alors qu'un tueur à gages, par exemple, ne souffrant d'aucun trouble mental peut représenter un danger tout aussi important pour la société que certains délinquants sexuels ?
Concernant la libération anticipée, l'initiative est contradictoire : elle permettrait de libérer des délinquants dangereux sur la base de nouvelles connaissances scientifiques permettant une guérison. Ces délinquants pourraient être relâchés dans la nature sans délai d'épreuve et sans surveillance.
A l'inverse, dans la révision de la partie générale du Code pénal, une libération anticipée n'est pas possible. En outre, même les délinquants non dangereux ne sont jamais libérés définitivement, mais toujours soumis à un délai d'épreuve qui peut être assorti d'une surveillance; ce délai d'épreuve peut être prolongé aussi souvent que nécessaire, ce qui est à mon avis un point extrêmement important.
Je conclurai en disant :
- Que la révision du Code pénal répond de façon beaucoup plus sûre et appropriée aux craintes des initiants.
- Que paradoxalement l'initiative laisse beaucoup plus de "secondes chances" aux délinquants dangereux.
C'est la raison pour laquelle je vous recommande, comme la Conférence intercantonale des chefs de département de justice et police, et, avant elle, le Conseil fédéral et le Parlement, de rejeter l'initiative.
Dernière modification 19.01.2004