Interview, 28 septembre 2023: La Liberté et autres; Bayron Schwyn, Sevan Pearson
La conseillère fédérale jurassienne, Elisabeth Baume-Schneider, tire un bilan de son action après environ dix mois au sein du Département de justice et police.
Elisabeth Baume-Schneider, la frontière tessinoise est en train d’être renforcée en prévision d’un afflux migratoire ces prochaines semaines. La situation est-elle déjà hors de contrôle?
Non, elle reste sous contrôle. Et il ne faut pas être caricatural: il ne s’agit pas de hordes de douaniers qui vont du nord au sud du pays pour quadriller la frontière. L’Office fédéral des douanes a annoncé avoir augmenté les effectifs de quelques personnes pour soulager les collaborateurs basés au Tessin.
Je comprends qu’un habitant de Chiasso s’inquiète, mais, même si la pression augmente, nous sommes loin d’une situation catastrophique.
Ainsi, seuls 3% des migrants qui sont identifiés à la frontière sud déposent une demande d’asile en Suisse. La plupart d’entre elles souhaitent seulement traverser le pays.
La Suisse n’est donc pas un eldorado…
Ce n’est effectivement pas le cas. Les chiffres attestent que les fluctuations sont les mêmes dans notre pays que dans le reste de l’Europe.
La part des demandes d’asile déposées en Suisse reste ainsi stable depuis 2016, à quelque 2,3% de la totalité des demandes déposées en Europe.
On a tout de même l’impression d’assister à l’échec de la politique d’asile européenne, et donc suisse...
Je constate effectivement, à l’instar de mes collègues européens, que je revois ce jeudi à Bruxelles, que le système de gestion de l’asile et de la migration dans l’espace Schengen a besoin de réformes pour pouvoir répondre aux crises. La réforme en cours est indispensable.
La situation actuelle à Lampedusa met en lumière les limites du système Dublin, les défis liés à la gestion des frontières maritimes et l’importance de la coopération avec les Etats d’origine et de transit des migrants afin de prévenir les mouvements irréguliers.
Il faut toutefois recontextualiser: malgré une surcharge des arrivées sur l’île, l’Italie ne compte pas plus de requérants d’asile dans l’ensemble du pays qu’en 2016-2017.
Je ne cherche pas à minimiser la situation, mais il faut présenter la réalité telle qu’elle est.
Qu’attendez-vous du nouveau pacte migratoire européen auquel la Suisse est associée?
J’en attends surtout un discours clair. Il est juste d’être rigoureux dans les procédures d’asile aux frontières extérieures de l’Union européenne, pour autant qu’on ne fasse aucun compromis sur le respect des droits fondamentaux.
Ensuite, le mécanisme de solidarité imaginé est important pour permettre une répartition plus équitable de la charge migratoire. Avec lui, soit on accueille les demandeurs d’asile, soit on contribue financièrement ou humainement au système d’asile sur place.
En parallèle, il faut aussi que tous les Etats européens envoient un message clair aux habitants des pays d’émigration, en Afrique notamment, qui n’ont pratiquement aucune perspective d’obtenir un statut de protection en Europe. Ceux-ci doivent comprendre qu’ils ne peuvent pas s’installer et travailler facilement en Europe.
Il est aussi nécessaire de casser les réseaux de passeurs. Il est dramatique que des centaines de personnes embarquent encore et encore sur des bateaux pour mourir en Méditerranée.
Pensez-vous vraiment qu’on arrivera à faire passer l’idée que la Confédération participe financièrement ou avec du personnel à ce mécanisme de solidarité?
J’ai le sentiment que oui. Si on explique en quoi ces investissements sont de nature à apaiser un système qui s’emballe et en quoi ils bénéficient aux personnes directement concernées, la population suivra. Je crois que personne n’est insensible lorsqu’il s’agit d’empêcher des situations indignes.
La Suisse soutient déjà l’Italie et la Grèce pour renforcer les structures de gestion de la migration. On constate une amélioration de la situation en Grèce, où je me rendrai début novembre. Et on voit aujourd’hui à Lampedusa ce qui s’était passé à Lesbos il y a quelques années…
Après celui de Boudry (NE), la situation se tend autour du centre fédéral d’asile de Chiasso (TI). Comment gérer ces situations pour qu’elles n’augmentent pas la réticence de la population à accueillir des réfugiés?
C’est une alchimie complexe et je suis sensible aux désagréments ou aux contraintes subies par les habitants vivant dans la proximité directe d’un centre.
Nous sommes toutefois condamnés à rester modestes. Même si nous mettons tout en place pour prévenir les dérapages, il est impossible d’éviter complètement des situations de délinquance, d’incivilités, voire des événements plus graves. Le risque zéro n’existe pas.
Ce qui est fondamental, c’est que l’on soit dans une relation de confiance et qu’on parle la même langue avec les autorités cantonales et communales. La proximité est essentielle.
Plus concrètement?
Nous allons faire tout notre possible pour que les centres ne soient pas surchargés, surtout dans les mois qui viennent. On ne peut toutefois pas être certain qu’il n’y aura pas de pics qui rendront les choses difficiles.
Nous exploitons aujourd’hui le maximum des ressources que nos budgets permettent, tant au niveau de la sécurité, de l’accompagnement que de la médiation sociale.
Fin août, vous annonciez un accord avec les cantons pour des places d’hébergement supplémentaires pour les requérants d’asile. Quel bilan intermédiaire tirez-vous?
Il est prometteur, même si tout n’est pas facile. Nous avons travaillé d’arrache-pied avec nos partenaires depuis le refus du Parlement de créer des hébergements provisoires sous forme de villages de containers, en juin. Les cantons jouent le jeu en mettant pour le moment déjà 710 places à disposition. Ils continuent à en chercher.
L’armée agit également, en proposant 300 places qui s’ajoutent aux 3700 dont l’utilisation par le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) est prolongée jusqu’à fin 2024.
D’après les estimations du SEM, entre 28 000 et 35 000 demandes d’asile auront été déposées en Suisse en 2023. Et ce, sans compter l’arrivée de 20 000 à 23 000 Ukrainiens. Comment va-t-on faire face à cette situation?
Je suis confiante dans notre capacité à coconstruire des réponses adaptées pour que chaque personne ait un toit jusqu’à la fin de l’année et au début de 2024. Je suis extrêmement attentive, c'est un grand travail.
Elisabeth Baume-Schneider, face au scandale des abus sexuels commis par certains membres du clergé catholique et sachant que l’Etat avait délégué la gestion de foyers et de missions socio-éducatives à l’Eglise, la Confédération ne devrait-elle pas créer un fonds d’indemnisation pour les victimes?
Il est important que l’étude dénonçant ces abus ait été publiée et que ce travail de recherche se poursuive. Il faut libérer la parole des victimes.
Cependant, il est prématuré de demander à la Confédération d’intervenir dans ce dossier, d’autant plus que cette compétence revient plutôt aux cantons, par exemple pour le contrôle d’instituts tels que des internats. Certains d’entre eux planchent sur des mécanismes pour éviter la répétition de tels abus. Ce qui est clair: le droit étatique prime sur le droit canon.
Dans quelle mesure l’Etat devrait-il prendre davantage de mesures, par exemple en prolongeant le délai de prescription?
L’Etat doit rappeler que la justice est accessible et que les victimes peuvent s’adresser aux centres d’aide aux victimes (LAVI) dans les cantons.
Le Parlement s’est déjà prononcé pour prolonger certains délais de prescription. Désormais, celui-ci tombe dès lors que des abus sont commis sur des enfants prépubères.
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Dernière modification 28.09.2023