Interview, 1. November 2023: Le Temps; Valère Gogniat et Nicole Lamon
Le Temps: "La conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider ne s’attend pas forcément en Suisse à une vague migratoire en provenance du Proche-Orient, après la flambée de violence dans la région. La ministre de Justice et Police était l’invitée du Forum des 100Lead, falls vorhanden."
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Voilà dix mois que vous avez un nouveau métier, qu’est-ce qui vous a le plus surpris dans cette fonction?
La qualité et la densité des informations dont on peut disposer. Ces informations fournissent une substance très précieuse pour développer des projets ou des priorités politiques. Les rapports de l’administration sont d’une qualité incroyable, c’est un gâchis que les gens ne les lisent pas davantage.
Il n’y a donc pas eu de choc?
Honnêtement, j’ai vécu un plus grand bouleversement au moment où j’ai été élue au Gouvernement jurassien, avec deux garçons alors âgés de 2 et 9 ans. Là, ça a été un chamboulement émotionnel. Faire de la politique, c’est une chose. Mais le faire en tant que maman de jeunes enfants, c’en est vraiment une autre.
Avez-vous appris à vous protéger ou êtes-vous encore en apprentissage?
Je l’avais déjà appris bien avant. Face aux sollicitations qui me sont adressées, je fais une appréciation par rapport à leur utilité sur un plan politique. Je garde aussi des petites invitations qui me font hyperplaisir. J’étais par exemple au match de foot YB-Manchester City mercredi soir avec mes fils.
Est-ce que cela change quelque chose que le Jura soit présent au sein du Conseil fédéral?
Sur le moment, il y a eu une grande effervescence, comme si c’était la signature d’une nouvelle étape dans la reconnaissance de ce dernier canton suisse. Dans le cadre de la Question jurassienne, on est désormais davantage dans l’alliance confédérale. Les Jurassiennes et Jurassiens ont peut-être pris conscience qu’eux aussi pouvaient interpeller l’administration fédérale et recevoir un accueil positif. Je ne suis pas l’élue du canton du Jura, mais les Jurassiens gardent cette dynamique de diaspora, cette capacité à se mettre à disposition des causes externes. Qu’on pense à Joseph Voyame, François Lachat, Jean-François Roth ou de nombreux artistes… Nous sommes autant d’ambassadeurs du Jura.
La Suisse de demain, c’est un peu le parlement sorti des urnes il y a 10 jours qui va la dessiner. Ce léger glissement à droite complique-t-il votre tâche?
Je me réjouis que le temps de la campagne soit bientôt terminé – après les seconds tours au Conseil des Etats – pour passer dans la séquence du «construire ensemble». Mon intention, c’est de trouver des majorités dans ce nouveau parlement, de trouver des alliés, dans les partis de droite également, qui me rejoignent dans ce que je souhaite mettre en place. Que ce soit au niveau de la migration, de l’identité électronique ou d’autres dossiers importants. Lorsqu’on arrive avec des dossiers solides et qu’on parvient à bien les expliquer, je veux croire qu’on peut compter sur l’intelligence collective du législatif, pour lequel j’ai un grand respect.
On a beaucoup parlé de migration en campagne électorale. Vous n’avez pas envie de laisser ce département aux UDC?
S’ils en étaient friands, ça se saurait. J’adore mon département et je travaillerai volontiers avec tous les partis au parlement. Vous dites qu’on a beaucoup parlé de migration pendant la campagne, je ne suis pas d’accord. On n’en a pas parlé, on a seulement entendu de la propagande et des slogans, vu des images. Il y a même eu des menaces contre des politiciens qui voulaient s’engager sur ces questions. Aujourd’hui, certains hésitent à s’exprimer, car ils redoutent le prix à payer. Dans ce contexte, je trouve qu’il faut justement parler davantage de migration et d’asile. Pour expliquer la réalité de la situation, avec toutes ses nuances.
La réalité, justement, c’est le conflit au Proche-Orient. La Suisse doit-elle s’attendre à un afflux de migrants en provenance de cette région?
Rien ne l’indique pour l’instant, mais on ne peut pas l’exclure. Nous n’avons pas de signaux indiquant que des personnes directement impliquées par ce drame seraient sur les routes de la migration en direction de l’Europe. Mais tout peut changer très vite. Actuellement, au niveau européen, la discussion porte plutôt sur les craintes de violences et d’attentats terroristes liées à la crise au Proche-Orient.
Alors qu’elle accueille actuellement 66 000 Ukrainiens, la Suisse pourrait-elle encore absorber une vague de migrants qui viendrait du Proche-Orient?
La Suisse ferait ce qu’elle sait faire. On discuterait avec les cantons, les villes, l’armée, pour trouver des hébergements, et on apporterait une réponse adaptée. Il faut savoir que la Suisse accueille chaque mois encore environ 1500 personnes en provenance d’Ukraine, même s’il y a aussi des départs. Ce serait donc une tension supplémentaire sur le système, déjà mis à forte contribution. Il faudrait être très attentifs à ne pas avoir une appréciation qualitative des personnes en quête de protection. Car l’octroi d’une protection ne peut pas être une question d’émotions; c’est d’abord une question juridique dans le respect des droits fondamentaux, de nos lois, des articles constitutionnels et du droit international.
Par rapport à la crise au Proche-Orient, le politique doit assumer le narratif, ne pas laisser s’installer des messages réducteurs à l’encontre de certaines populations. On observe déjà en Suisse des sensibilités différentes d’une ville à l’autre ou d’un canton à l’autre dans le fait d’autoriser ou pas des manifestations de soutien.
Les tensions avec les cantons pour l’accueil des nouveaux arrivants étaient vives avant l’été, ça va mieux?
Nous n’avions pas de tensions avant l’été, bien au contraire. La plupart des cantons soutenaient l’installation de villages de conteneurs pour avoir une marge au niveau des places d’accueil, mais le Conseil des Etats a refusé. Je comprends l’inquiétude des cantons face à l’arrivée de nombreux demandeurs d’asile, mais je ne pense pas avoir de relations difficiles avec eux. Les questions sont d’ordre institutionnel. Il faut être en conformité avec la loi et les règles élémentaires du vivre-ensemble, et il y a de grandes attentes de part et d’autre. Mais le dialogue reste de qualité dans notre collaboration étroite avec les cantons.
Vraiment, même avec le canton de Vaud?
Vaud se demandait avant l’été s’il arriverait à répondre de manière apaisée à l’arrivée de migrantes et migrants, face à l’inquiétude de certaines communes. Dans nos discussions avec les cantons, je les invite à faire preuve de solidarité entre eux. Le Tessin critique le fait qu’il n’y ait pas un centre fédéral d’accueil en Suisse centrale, les cantons romands estiment que la Suisse alémanique ne fait pas sa part, etc.
Et vous, vous en pensez quoi, il y a vraiment de mauvais élèves?
Il n’y a pas de mauvais élève et chaque canton a sa réalité. Je dois être une facilitatrice et générer de la confiance entre eux. Alors je rappelle les engagements pris et ceux souhaités par le peuple suisse. Il était par exemple convenu de créer deux centres fédéraux pour les requérants récalcitrants, afin de répartir l’effort. Il y en a un aux Verrières (NE), mais on attend toujours des cantons alémaniques qu’ils mettent un centre à disposition. La situation dans le domaine de l’asile ne va pas se simplifier dans les mois qui viennent. Pour trouver des solutions, nous devons donc utiliser les outils suisses du fédéralisme, et rappeler nos valeurs de solidarité.
Que dites-vous à la population de Boudry (NE), qui n’en peut plus des incivilités liées à la présence des requérants?
A Boudry, certains en ont assez et je peux les comprendre. Quand on a eu des cambriolages et que les assurances rechignent à indemniser, c’est difficile. J’ai évoqué ce problème avec le gouvernement cantonal à plusieurs reprises et on va prendre des mesures supplémentaires. Pourtant, si on considère les chiffres en tant que tels, le centre a une moindre densité de migrants qu’auparavant, et pas plus d’interventions de police, pourtant on entend davantage les gens. Au-delà des faits, il y a des sentiments, d’insécurité ou d’injustice par exemple, je les entends bien. Peut-être que la campagne électorale a permis de libérer une parole plus critique.
La thématique est également très discutée par nos voisins. L’Allemagne rétablit les contrôles à ses frontières, et vous venez de rencontrer Gérald Darmanin.
Nous avons une bonne relation et mes services, Fedpol et le Secrétariat d’Etat aux migrations, sont pris très au sérieux par les pays voisins. C’est tant mieux, car pour lutter contre la migration irrégulière ou les menaces terroristes, nous avons besoin de relations de confiance entre Etats. Avec mon homologue Gérald Darmanin, nous avons conclu vendredi un plan d’action visant à mieux lutter contre la migration irrégulière et en particulier contre les passeurs. Nous avons des plans d’action similaires avec l’Allemagne et l’Autriche. Le droit d’asile est un droit à la protection, pas un droit à l’immigration, ni un droit à choisir le pays européen qui devrait assurer cette protection.
Malgré leurs efforts, les pays européens ne peuvent plus accueillir tous les arrivants, nous sommes au bout des systèmes Dublin et Schengen?
La réforme du système européen de migration et d’asile est indispensable, car ce système n’est plus assez résilient pour répondre aux crises. On s’achemine vers davantage de contrôles aux frontières extérieures de l’espace Schengen et vers un principe de solidarité entre les différents pays à l’interne. J’espère que le Parlement européen l’acceptera.
Mais attention, il ne faut pas se tromper de combat, car les migrants sont le plus souvent aussi des victimes. Un chiffre choquant: 90% des migrants qui arrivent chez nous ont eu affaire à des passeurs. C’est un véritable business où des gens se font beaucoup d’argent. Nous devons accroître la lutte contre ce marché-là, et informer mieux ceux qui veulent partir de chez eux. Il faut investir dans les pays d’origine, développer des programmes pour que les personnes qui rêvent de l’Europe comme d’un eldorado sachent que la plupart ne seront pas accueillis à bras ouverts et ne pourront pas travailler.
Pourtant la Suisse manque de maind’œuvre. Avenir Suisse veut faciliter les choses pour ceux qui sont formés ici ou qui ont une offre d’emploi qui leur garantit un «certain revenu minimum». De bonnes pistes?
Je trouve intéressant qu’Avenir Suisse ait ce genre de propositions. Mais j’attends de lui qu’il les incarne politiquement, qu’il témoigne envers les politiques de ce qu’il observe, pour faire évoluer la discussion. Car le parlement a par exemple renvoyé au Conseil fédéral sa proposition de faciliter le travail des étrangers des Etats tiers qui ont été formés dans nos hautes écoles.
Une initiative contre une Suisse à 10 millions d’habitants a été lancée par l’UDC. Est-ce que vous pensez qu’une Suisse à 11 millions est possible?
Il faut déjà s’organiser dans notre Suisse à 9 millions. Avenir Suisse défend une approche presque enthousiaste de la migration et salue la venue de travailleurs qui contribueront à la prospérité du pays. Mais d’autres milieux s’inquiètent plutôt du stress causé par la densité de population, le «Dichtestress». Pour moi, ce n’est vraiment pas une question de gauche ou de droite, mais une question de projet de société. Le manque de main-d’œuvre se fait sentir dans tous les corps de métier et nous devons savoir comment continuer à soigner notre population ou organiser nos transports publics, sans mettre de jauge.
En 1965, Max Frisch disait: «On avait appelé des bras et voici qu’arrivent des hommes.» C’est un peu le même constat aujourd’hui. C’est pour cela qu’il ne faut jamais perdre de vue notre projet de société.
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Letzte Änderung 01.11.2023